Un espace naturel reconnu par l’Unesco
Situé à 40 minutes de Calais et de Dunkerque et à une heure de Lille (Hauts-de-France, Nord-Pas-de-Calais), le marais audomarois réserve bien des surprises pour toute personne recherchant une destination nature dépaysante chargée d’histoire et d’authenticité. Au programme : sorties culturelles au sein de la ville de Saint-Omer, visites guidées en bateau, promenades en barque à rames ou à moteur électrique, randonnées pédestres, balades à vélo… Une vraie bouffée d’oxygène entre ville et nature !
A Saint-Omer et ses alentours, un site naturel d’exception s’offre en effet aux visiteurs ! En effet, le marais audomarois, encadré à l’Est par les limites de la Flandre intérieure et à l’Ouest par les contreforts de l’Artois, s’étale sur quinze communes du Nord et du Pas-de-Calais : Saint-Omer, Clairmarais, Serques, Éperlecques, Houlle, Moulle, Salperwick, Tilques, Saint-Martin-lez-Tatinghem, Longuenesse, Arques, Watten, Saint-Momelin, Noordpeene et Nieurlet.
Ce labyrinthe de terre et d’eau, s’étendant sur 3700 hectares (37 km2), comprend 700 kilomètres de cours d’eau, dont 170 kilomètres navigables ! Outre ces chiffres révélateurs de la taille de cet espace naturel reconnu Réserve de Biosphère par l’UNESCO, soulignons sa richesse historique ainsi que son importance écologique.
Il s’agissait autrefois d’une zone humide tourbeuse encore touchée par les grandes marées via le fleuve de l’Aa à l’époque Carolingienne. Puis les hommes s’approprièrent peu à peu les lieux : les moines de Sithiu (ancien nom de Saint-Omer) ainsi que de l’abbaye de Clairmarais, y ont extrait la tourbe, les agriculteurs poldérisèrent les lieux, les canaux de drainage se multiplièrent afin d’évacuer l’eau vers la mer, les bras d’eau d’importance furent canalisés afin de permettre l’essor du commerce et des échanges internationaux à Saint-Omer… Au XIXème siècle, le marais nous apparaît quasi comme nous le connaissons aujourd’hui ; un espace tantôt habité, tantôt sauvage, ou tantôt cultivé par les maraîchers audomarois perpétuant encore la tradition du chou-fleur d’été de Saint-Omer ainsi que de l’endive d’hiver.
Destination discrète mais néanmoins pleine de surprise, le dernier marais maraîcher de France fait le bonheur des randonneurs, des pêcheurs et des amateurs de sorties nature en bateau dans un milieu préservé. C’est à bord des embarcations traditionnelles des maraîchers, les escutes et les bacôves que les derniers faiseurs de bateaux de la région vous proposent des balades pleines d’authenticité en mode « croisière » au cœur de ce milieu naturel façonné par l’Homme.
Découvrons sans plus attendre le marais audomarois, son histoire, sa faune et sa flore !
Sommaire :
Le marais audomarois en quelques chiffres
Histoire du marais
Reconnaissance UNESCO et autres labels
Patrimoine naturel du marais audomarois
Patrimoine culturel du marais audomarois
Une promenade dans le marais de Saint-Omer et de Clairmarais
Pour conclure
Comme indiqué précédemment, le marais audomarois couvre une surface de 3726 hectares, soit un peu plus de 37 km2, ce qui en fait la plus grande zone humide de la région des Hauts-de-France. En comparaison, il présente près de 12 fois plus de surface que les hortillonnages d’Amiens et 4 fois plus de rivières. Cette grande cuvette naturelle présente en moyenne une altitude de 0 mètres et peut descendre à près d’un mètre sous le niveau de la mer. C’est pourquoi cette zone est particulièrement fragile en cas de montée des eaux. Mis à part quelques centaines d’hectares appartenant à des organisme publics (Région Hauts-de-France, Département du Pas-de-Calais, Eden 62, commune de Saint-Omer et de Clairmarais, communauté de communes, PNR, conservatoire du littoral…), à l’instar de la réserve naturelle du Romelaere, le marais audomarois est majoritairement privé (à 90%). Il est en effet découpé en plus de 13 000 parcelles appartenant à près de 5000 propriétaires. En matière d’agriculture, il comprend 450 hectares dédiés au maraîchage (culture de 50 légumes dont le chou-fleur), 300 hectares pour les cultures diverses (céréales) et un millier d’hectares de prairie. Parmi ces dernières, certaines sont dédiées à l’élevage de vaches, de bœufs et de moutons.
Nous ne disposons que peu d’informations concernant le marais audomarois durant l’Antiquité. Intégré dans le territoire des morins, la Morinie, nous savons que cette cuvette marécageuse inondée par l’Aa permettait l’activité de la pêche.
Après la chute de l’Empire romain, les choses se précisent : l’Aa inondait le marais entre Saint-Omer et le goulet de Watten-Eperlecques avant de poursuivre son chemin vers la mer au travers de la Flandre maritime. Celle-ci s’apparentait à un golfe nommé portus Itius, plus ou moins étendu selon les marées. Le marais, composé d’eau douce, pouvait alors comporter de l’eau saumâtre au niveau de Watten. C’est dans ce milieu marécageux et inhospitalier que débuta l’histoire de Saint-Omer.
Sous Dagobert 1er, au VIIème siècle, trois moines originaires de Luxeuil (Mommelin, Bertin et Ebertram), vinrent s’installer sur le territoire de la Morinie afin de convertir au christianisme le peuple païen des morins. Les trois religieux avaient alors pour chef Audomar, l’évèque de Thérouanne (puissant évêché à l’époque). Le premier monastère fut implanté au niveau du village actuel de Saint-Mommelin. Seulement, cet emplacement s’avéra très vulnérable aux inondations et aux attaques. La légende veut que les trois moines embarquèrent dans une barque et se laissèrent dériver afin de trouver un nouveau lieu présentant davantage de commodités. C’est ainsi que Dieu les guidèrent vers le rivage de Sithiu. Une autre légende veut que ces terres appartenaient à un pirate nommé Aldroad, qui, une fois converti par l’évêque Audomar, lui laissa l’intégralité de ses terres comprenant, entre autres, les territoires des actuelles communes de Saint-Omer, de Clairmarais et d’Arques.
Contrairement à Saint-Mommelin bordé par le marécage et jouxtant le golfe de Portus itius, Sithiu présentait davantage de confort. Le mont Sithiu, de 12 mètres de hauteur, permettait de voir arriver les ennemis de loin. De surcroit, le marais l’entourant au trois quart formait un excellent rempart naturel. Grand bien leur en a pris d’ailleurs, Saint-Omer ayant eu à subir les invasions vikings au IXème siècle (voir notre article Saint-Omer et les invasion vikings). Bien vite, des aménagements successifs et la construction de l’abbaye d’en-bas (l’abbaye bénédictine Saint-Bertin, jadis dédiée à Saint-Pierre) et l’église d’en-haut (qui deviendra la cathédrale de Saint-Omer), permirent à Sithiu de devenir un petit village de pêcheur, puis une petite ville avant de connaître une histoire autrement plus fabuleuse. Elle deviendra une place de marché de Flandre et d’Artois dès le Xème siècle, une place forte d’importance, un port de commerce dès le XIIème siècle, une puissance administrative et religieuse, un bastion de la contre-réforme durant la Renaissance…).
Revenons au IXème siècle : quelques aménagements furent organisés par les moines avec le détournement de l’Aa vers Arques par la création du canal de la Basse-Meldyck afin de permettre le fonctionnement d’un moulin (Meldyck signifie « farine » en flamand). Puis fut creusée la Haute-Meldyck arrivant au pied de l’Abbaye de Saint-Bertin .
Les polders commencent également à fleurir vers le Xème siècle dans le marais audomarois. Ils ont pour but d’assécher le marais : les sillons laissés par l’Aa dans la cuvette marécageuse sont élargis et approfondis afin de favoriser l’écoulement de l’eau. La vase extraite servit quant à elle à rehausser les terres dédiées à l’élevage et l’agriculture. Cette technique sera employée par étapes successives dans un ordre logique (des marais hauts en périphérie des villes jusqu’aux marais bas situés au centre de la cuvette), et ce jusqu’à la fin du XVIIème siècle. Cela permit, petit à petit, la création de nouvelles terres. L’on adoptera ensuite la technique des polders hollandais jusqu’au XIXème siècle. On parle alors de « mise en casier » du marais bas pour sa mise en culture, grâce à la constitution de marais fermés par des digues, dont la gestion des eaux était assurée par des portes d’eau et des moulins d’épuisement à vent. Depuis 1866, il n’existe plus de terres à conquérir.
Outre la constitution de terres agricoles et de petits fossés de drainage nommés watergangs, il fallut lutter contre les inondations et favoriser le commerce maritime. C’est dans cette optique que fut creusée la rivière « Nova A », dite du « Grand Large » en 1100 (traversant les marais de Salperwick, de Tilques, de Serques, de Houlle et de Moulle). Celle-ci permit la navigation de bateaux plus conséquents tout en favorisant l’écoulement des eaux de l’Aa vers la mer. En 1165, c’est au tour de la dite Grande Rivière de connaître une grande transformation. Elle devint un canal desservant les ports de Saint-Omer (le quai du Haut-Pont, le Vain quai et le quai des Salines) et reliant ces derniers à celui de Gravelines. Cet avant-port maritime fut créé à l’initiative du Comte Philippe d’Alsace. Les aménagements facilitant l’écoulement de l’eau permirent de réduire le niveau d’eau du marais et de faciliter la poldérisation. Cette campagne de travaux fut réalisée sous l’impulsion du comte de Flandre Baudoin VII après que son prédécesseur Baudouin VI eut relié le bassin de la Lys à celui de l’Aa par un large fossé défensif qui deviendra plus tard le canal de Neuffossé. Parallèlement, l’installation d’une digue sur le littoral flamand permit de retenir les grandes marées.
L’histoire du marais audomarois retient également quelques autres dates clefs complémentaires : la création du canal de Calais en 1681, la création de l’écluse Vauban à Gravelines en 1699 (elle se ferme pour empêcher les grandes marais d’envahir l’Aa et s’ouvre afin de faciliter l’écoulement du fleuve Aa) et la création du canal de Neuffossé en 1753 afin de relier l’Aa à la Lys. Il devint possible, en pleine Révolution industrielle, de relier Dunkerque à Lille en desservant Saint-Omer par l’emprunt du canal de la Colme, du canal de l’Aa, de celui de Neufossé, de la Lys et de la Deule. En 1958, une dernière campagne de travaux bouleversera la physionomie du marais audomarois : la fermeture du bief du Haut-Pont et la dérivation du canal de Neuffossé par la création d’un canal Grand Gabarit. Les péniches, biens plus grandes désormais que les petites péniches Freycinet de la fin du XIXème siècle, nécessitaient la conception d’une telle infrastructure. C’est ainsi que désormais, les bateaux lourds sont bannis de la ville et traversent l’espace naturel.
Le marais audomarois, alimenté notamment par l’Aa, les eaux pluviales et de ruissellement ainsi que par deux nappes phréatiques, est l’une des deux zones humides d’importance nationale ou internationale de la région Nord-Pas-de-Calais (avec la zone Scarpe-Escaut). Il est ainsi classé au titre de la Convention de Ramsar et comprend un parc naturel national d’importance (Le PNR des étangs du Romelaere).
Enfin, il est reconnu Réserve de Biosphère par l’UNESCO depuis 2013. Cette reconnaissance MAB (Man and Biosphère) sied parfaitement au marais audomarois. En effet, le milieu a été et est toujours façonné par l’Homme, ce qui rend l’Homme et la nature davantage interdépendants : sans curage ni faucardage, le marais audomarois retrouverait sa physionomie inhospitalière du haut-Moyen Age. La biodiversité y serait moins florissante et l’activité humaine y serait impossible.
L’entretien du marais revient aujourd’hui à la septième section des wateringues, occupée selon les saisons à curer les rivières, à faucarder les algues voire à renforcer certaines berge grâce à la technique du fascinage. Pour les aider dans leur œuvre, des machines adéquates sont mobilisées, comme des grues, des chalands et une faucardeuse. Jadis, certaines de ces tâches se réalisaient grâce à des outils manuels traditionnels comme le trouspa (servait à refaire les berges), l’édrack (servait à creuser les fossés), la grèpe (sorte de pelle permettant l’extraction de la tourbe) et la baguernette (épuisette robuste servant à tirer la vase).
Aujourd’hui, habitants, maraîchers, éleveurs, chasseurs, pêcheurs, promeneurs, touristes et sportifs se côtoient en s’imposant chacun des règles afin de respecter et ne pas mettre en danger le fragile équilibre permettant la bonne santé de ce milieu naturel exceptionnel.
Notons que le marais audomarois est aujourd’hui la douzième réserve de biosphère française avec le bassin de la Dordogne, la Camargue, le parc national des Cévennes, la forêt de Fontainebleau et Gâtinais, les Gorges du Gardon, les Îles et mer d’Iroise, le parc naturel régional de Luberon-Lure, le Mont Ventoux, la Vallée du Fango (Corse), La réserve de biosphère transfrontière des Vosges du Nord-Pfälzerwald, Fakarava (Polynésie française et l’Archipel de la Guadeloupe.
Il intègre le prestigieux réseau mondial MAB visant notamment à réduire la perte de biodiversité, améliorer les moyens de subsistance des populations, à favoriser les conditions sociales, économiques et culturelles essentielles à la viabilité du développement durable ainsi qu’à améliorer les connaissances grâce à des échanges d’expériences et d’expertises qui s’organisent au niveau régional et mondial.
Le climat favorable, la présence d’eau et les terres tourbeuses sont propices à l’agriculture, et sont autant de facteurs permettant au marais de bénéficier d’une richesse floristique extraordinaire.
Nous retrouvons dans le marais audomarois une richesse écologique élevée, avec une centaine de plantes exceptionnelles dont plus de 25 espèces protégées et plus d’une soixantaine de communautés végétales, dont certaines très rares et menacées. En outre, 50% de la flore aquatique régionale s’épanouit dans le marais Audomarois ! Un véritable îlot de biodiversité au cœur de la région !
Pour ce qui est de la faune, les derniers recensements ont pu comptabiliser, entre autres, plus de 200 espèces d’oiseaux (dont le blongios nain, le butor étoilé, le busard des roseaux, le grèbe huppé, le martin pêcheur…) et 26 espèces de poissons (brochets, sandres, anguilles communes d’Europe…). Nous retrouvons bien entendu dans les watergangs, étangs et rivières nombre d’amphibiens (grenouilles vertes et rousses), de libellules, de couleuvres à collier …
Certaines espèces sont actuellement menacées, telles que les anguilles communes d’Europe. D’autres prolifèrent au grand dam des maraîchers, comme le rat musqué ayant la fâcheuse habitude de creuser des galeries dans les berges et de grignoter les plants.
Le visiteur amoureux de vieilles pierres ne saurait traverser l’Audomarois sans visiter la vieille ville de Saint-Omer ainsi que sa cathédrale, ou sans traverser les villes et villages environnants forts d’un patrimoine certain. Au delà des vieux faubourgs maraîchers, chacun apprécie une petite virée à Clairmarais, pour admirer la vieille ferme médiévale et les ruines de l’abbaye cistercienne, pour s’aventurer dans la réserve des étangs du Romelaere ainsi que dans la forêt de Rihoult Clairmarais. A pied, à vélo ou en bateau, la destination est pleine de charme. Ce n’est pas pour rien que les bourgeois du XVIIème siècle appréciaient les « promenade d’eau » à Saint-Omer et Clairmarais et que les écrits de cette époque stipulaient que tout bon visiteur qui se respectait devait, en passant par l’Audomarois, s’attarder à contempler les « îles flottantes ». Ce que fit d’ailleurs Louis XIV une fois qu’il eut pris la ville en 1677. Il s’agissait autrefois d’amas de terre et de végétations formant de véritables îles dérivant sur les espaces d’eau. Celles-ci disparurent peu à peu, entraînées par le fond en raison de leur tassement, mais également suite à divers aménagements.
Chacun peut être frappé par la toponymie des lieux à consonance néerlandaise. Certaines rivières portent de drôles de noms, tels que Stackelwaert, Hongarwaert, Bogarwaert, Petite et Grande Meer, le Westbrouck, le petit et le grand Leeck… Nous retrouvons principalement ce type d’appellation dans le marais de Saint-Omer et de Clairmarais, voire dans le marais de Saint-Martin au Laert, de Salperwick, de Tilques et de Serques (avec le Ketestrom, le Nardstrom, le Lansbergue). Ces noms témoignent des origines flamandes de l’audomarois et de l’ancienneté de ces rivières. Afin de mieux comprendre ces noms, il est utile de savoir que Meer signifie « lac » (la petite et grande meer sont de grandes rivières et des polders conçus sur un ancien lac de plusieurs centaines d’hectares), Leeck signifie « la fuite » (ou l’exutoire d’un polder), « waert » signifie canal, « brouck » marécage et « strom » le courant. D’autres rivières, à consonance française, démontre que leur origine est plutôt récente (il en est ainsi des nouveaux polders) ou que ces dernières ont connu quelques transformations ou mises en valeur ultérieures à la reprise de Saint-Omer par les français au XVIIème siècle. Il en est ainsi des îles flottantes, de la Redoute, de la Canarderie, de la rivièrette, du mussent…
En termes d’habitat, le marais audomarois comporte encore de belles maisons traditionnelles de style flamand. Certaines longères présentent un toit simple, d’autres un toit « à la Mansart » composé de 4 pans. Quelques vieilles maisons maraîchères présentent encore une vieille grange en bois à leur côté, une serre, une cuisine à légumes, un hangar agricole, une salle de forçage pour les endives ainsi qu’un accès rivière via un « pucheau », sorte de petit quai servant à accoster le bateau et à « puchoir » (puiser l’eau pour les besoins de la vie courante).
Ici et là, nous retrouvons des vestiges de moulins de pompage, des anciennes vis d’Archimède en métal, des batardeaux, des vannes ainsi que des portes d’eau… Autant d’aménagements qui ne sont majoritairement plus utilisés aujourd’hui et tendent à disparaître, à l’instar, hélas, des vieilles maisons maraîchères en torchis ou briques jaunes. Les paysages de cartes postales tels que le faubourg de Lyzel (la « petite Venise du Nord »), apporte heureusement encore un témoignage de cette vie rurale de nos ancêtres… Mais pour combien de temps encore ?
Nous retrouvons également le charme du marais maraîcher et habité dans le faubourg du Haut-Pont et le lieu dit du Doulac : les maisons maraîchères font face à la route et un environnement semi-urbain. A l’arrière, le jardin s’ouvre sur le marais et les interminables rivières.
Dans le marais Ouest, dans le secteur de Salperwick, le marais habité cède place à un milieux davantage dédié à la villégiature. Les petites maisons de vacances et les campings bordent les canaux dans lesquels les pêcheurs trouvent leur bonheur.
Le marais fut mis en culture dès ses premiers travaux d’assèchement. Les premières terres dites hautes apparurent à la lisière de la ville à partir du Xème siècle avant de gagner petit à petit l’ancien marécage boueux traversé par l’Aa.
La population maraîchère connut une certaine croissance au XVIIIème siècle. Nous pouvons penser que la fin du système féodal permit un meilleur partage du territoire. C’est à cette époque, et plus précisément en 1751, que le chou-fleur d’été sera planté pour la première fois dans nos sols extrêmement fertiles.
Puis vint la Révolution Industrielle. La première gare fut implantée en 1848 et bien vite, le maraîchage trouva de nouveaux débouchés hors du territoire grâce à ce moyen novateur d’acheminer les légumes. Il est dit qu’à Paris, les marchands des quatre saisons vantaient au mois de mai-juin dans les rues les qualités des « Premiers Saint-Omer ».
Entre 1850 et 1870, 400 familles vinrent cultiver les terres de Saint-Omer, de Clairmarais et des alentours alors que touchait à sa fin l’exploitation de la tourbe extraite par les tourbiers que nous appelions greppeurs. En effet, le charbon, extrait en masse dans les houillères de l’Artois, fit tomber en désuétude cet ancien combustible qui ne fut utilisé ensuite que durant les épisodes de guerre. En 1920, les maraîchers de l’Audomarois débutèrent la culture de l’endive d’hiver qui servit à assurer une rémunération bienvenue en basse saison.
Après guerre, en raison de la concurrence internationale, des progrès techniques et des nouveaux modes de production, les maraîchers commencèrent à disparaître, tout comme les bateaux traditionnels du marais audomarois. Les parcelles étaient en effet autrefois accessibles qu’en bateau. Le maraîcher se servait alors du bacôve manœuvré à la perche pour acheminer ses produits (jusqu’à 3,5 tonnes de choux-fleurs par voyage) ainsi que son cheval qui l’assistait dans sa tâche. Après-guerre, certains n’hésitaient pas à jumeler cote-à-cote deux à trois bacôves afin de transporter leur tracteur !
L’escute servait d’utilitaire : elle était très utile pour le transport de la famille et des outils et savait se faufiler dans les rivières étroites. Elle se manœuvrait avec une ruie, outil ressemblant à une longue rame plate. Avant l’arrivée des moteurs à bateaux thermiques puis électriques, certains maraîchers aisés propulsaient leur embarcation à l’aide d’un motogodille.
A la fin des années 1970, le marais se para de chemins agricoles et de ponts suite à l’opération de remembrement. Plus de 500 hectares devinrent accessibles par voie terrestre. Les bateaux s’avérèrent bien vite inutiles et les faiseurs de bateaux fermèrent un à un les portes de leur atelier. L’ouverture de la mécanisation permit quant à elle au maraîchage de l’Audomarois de survivre face à une concurrence de plus en plus âpre. Néanmoins le nombre de familles vivant de cette activité diminua encore : nous en comptions 200 dans les années 1970, 110 à la fin des années 1990, 60 à la fin des années 2000 et une trentaine aujourd’hui.
De nos jours, certains maraîchers travaillent en monoculture et cultivent le chou-fleur l’été et l’endive l’hiver, d’autres perpétuent l’agriculture diversifiée, parfois de manière biologique. En tout, 50 légumes continuent à être cultivés dans le marais, dont le chou-fleur et l’endive d’hiver, le chou, le céleri rave, l’artichaut Gros Vert de Laon, la carotte de Tilques…
Dans les marais cultivés, il n’est pas rare de rencontrer un agriculteur ou un saisonnier, debout depuis 4h du matin et travaillant à la « fraîche » pour couper les choux-fleurs avant de les livrer à la coopérative peu avant midi. C’est notamment le cas entre juillet et août lors de la période de « full », là où le chou-fleur d’été est abondant.
Outre les activités maraîchères dont étaient en charge les brouckaillers, le marais permit d’autres activités économiques, telles que l’extraction de la tourbe pour le chauffage (bon nombre d’actuels étangs, tels que celui du Romelaere, en sont les vestiges) ainsi que la culture du chanvre utilisé pour la fabrication des cordages de bateaux. Les habitants du marais étaient également d’excellents pêcheurs. Si aujourd’hui, seule la pêche à la ligne est autorisée pour les détenteur d’un permis de pêcher valide, il n’en était pas de même autrefois. On rivalisait en effet d’ingéniosité jadis pour pêcher le maximum de poissons. Parmi ces techniques interdites de nos jours, nous pouvons citer la pêche à la nasse ou au tambour, la pêche à la fouenne (sorte de trident), la pêche au blot et au fagot (pièges à anguilles), à la puchette ou la poisenette (épuisettes traditionnelles)… Avant que l’anguille ne soit protégée, les audomarois avaient coutume de pêcher à la houppe. Il s’agissait d’agiter dans l’eau une pelote de vers de terre lestée de plomb jusqu’à ce qu’une anguille morde. Il fallait alors « ferrer » d’un coup (avant que l’anguille n’ouvre la gueule par réflexe) et l’attraper dans un parapluie retourné.
Malgré la disparition de quelques fêtes et ducasses à l’instar du cortège de Lyzel (défilé de chars roulant le long de la route de Clairmarais et de la rue Saint-Martin à Saint-Omer), deux fêtes déchaînent toujours les enthousiasmes des audomarois : le cortège nautique organisé dans le faubourg du Haut-Pont le dernier dimanche de juillet ainsi que le pèlerinage en bateau le 15 août, auprès d’une statue de la Vierge au croisement du Grand Large et de la rivière d’Ecou à Tilques.
Saint-Omer possède deux géants du Nord portés : Batistin, représentant un jardinier du marais du Bachelin et sa compagne Belle-Lyze.
Le meilleur moyen de découvrir le marais de Saint-Omer et de Clairmarais est encore le bateau. A bord d’une escute ou d’un bacôve traditionnel, les derniers faiseurs de bateaux vous invitent notamment à une balade au fil de l’eau, riche en découvertes dépaysantes.
Quelques chemins agricoles permettent de découvrir le marais à pieds ou à vélo, tout comme les sentiers de promenade ou de rando sillonnant l’espace naturel, tels que le sentier du Lansbergue entre Tilques et Serques ou le sentier de la cuvette entre Clairmarais, Nieurlet et Noordpeene (voir ici les sentiers de randonnées de l’Audomarois : https://www.tourisme-saintomer.com/wp-content/uploads/2016/05/LIVRET-PEDESTRES-FR-WEB.pdf ).
La réserve naturelle du Romelaere propose également un peu plus de 2km de chemins balisés et accessibles aux visiteurs en situation de handicap. Ces chemins, jalonnés de postes d’observation ornithologiques, permettent de découvrir les saules têtards, les prairies humides, les anciennes tourbières que sont les étangs ainsi que des colonies d’oiseaux. A l’entrée du parc, la Grange Nature vous permet de vous équiper d’un audio-guide.
Concluons par deux citations signées de Jean Vaudois, extraites de l’ouvrage « Promenade dans le marais audomarois » édité par le Parc Naturel Régional du Nord-Pas-de-Calais en 1983 : « La finesse du découpage des terres, l’organisation générale des grands secteurs, témoignent de la variété des efforts et des techniques mises en œuvre, au cours des siècles, pour créer le marais d’aujourd’hui. » (…) « Rares sont les paysages qui laissent réellement indifférents dans le marais. Mais au delà de la simple dimension esthétique, c’est la dimension socio-économique et culturelle qu’il faut atteindre pour comprendre et apprécier pleinement ce site exceptionnel. »
Il est certain que le marais audomarois, que certains appellent marais de Saint-Omer, marais de Clairmarais ou encore hortillonnages de Saint-Omer, est plein de promesses pour celui et celle qui aime le calme, la nature et les destination dépaysantes pleines d’authenticité.