1 – Départ sur la rivière du Cappelwaert et traversée du faubourg de Lyzel
Bonjour à tous et bienvenue dans notre marais !
Nous sommes avant tout artisan, mais aussi bateliers, barmen, restaurateurs… Il est difficile pour nous d’ajouter bilingue voir polyglotte à notre CV ! Nous nous sommes toutefois organisés afin que votre visite puisse se dérouler de la manière la plus agréable possible et nous espérons que vous apprécierez ce guide audio.
Voici que nous larguons les amarres. Vous êtes à bord d’un bacôve, barque flamande d’environ 10 mètres de long pour 2 mètres de large, qui servait jadis à transporter les légumes. Nous nous appliquons ici à perpétuer la tradition de la construction navale dans le marais depuis 2009. Vous aurez l’occasion de découvrir le chantier naval après la visite. Où peut-être l’avez-vous déjà visité ?
Nous voici en route au travers du faubourg de Lyzel. Un nom dont l’étymologie nous renvoie aux îles, aux territoires insulaires, car ce quartier était autrefois complètement entouré d’eau. Typique avec ses habitations établies au bord de l’eau, il est parfois surnommé « la petite Venise du Nord » en écho au surnom donné à la cité Belge de Bruges. Ce quartier fait partie du marais audomarois. Une vaste cuvette de 3700 hectares, établie sur les territoires de 2 départements et de 15 communes. Ce canal longeant la route figure parmi les 170 kilomètres de voie d’eau navigable complétés par 530 kilomètres de canaux de drainage. Un vaste labyrinthe où il est facile de se perdre !
Sur votre gauche, vous découvrirez des maisons maraîchères anciennes datant du 19ème siècle. La maison blanche est une « Longère ». Une habitation en plain-pied s’étalant en longueur.
Un peu plus loin, une autre maison attire notre attention. Il s’agit d’un siège d’exploitation maraîchère typique. Il comprend une habitation cossue avec un toit à 4 pans, une grange, un petit pont en ferronnerie, un quai permettant de garer les bateaux et de puiser de l’eau pour nettoyer les légumes. Derrière la maison, nous trouvions jadis l’étable, la serre, l’entrepôt à légumes et les châssis en verre permettant de faire pousser les plants.
2 – l’épopée des maraîchers
Revenons brièvement sur la vie des maraîchers. Le maraîchage était déjà au Moyen Age une activité foisonnante dans le secteur. On la développera particulièrement à la fin du XVIIIème et au cours du XIXème siècle. Les raisons sont multiples : nous avons gagné des terres sur l’eau par la conception de polders, nous disposons d’eau en abondance, les terres sont très fertiles… Surtout, les nouveaux légumes venus d’autres continents commencent à se populariser et la demande est forte ! C’est pourquoi nous débuterons la culture du chou-fleur d’été en 1751. Ce produit devint rapidement la spécialité de Saint-Omer. D’autres légumes vinrent ensuite étoffer notre production, comme le céleri-rave, l’artichaut, le poireau, l’endive ou encore les carottes dans les terres plus sablonneuses du marais.
Quand la première gare fut implantée sur notre territoire en 1848, les débouchés devinrent bien plus conséquents. Il devenait possible, grâce au train à vapeur, d’acheminer nos légumes jusqu’à Paris, vous imaginez-vous ? Beaucoup abandonnèrent leurs activités pour travailler la terre et on compta jusqu’à 400 familles maraîchères au cours de la première partie du XXième siècle ! Pendant que de l’autre côté de l’Atlantique s’opérait la ruée vers l’or, nous connaissions une véritable ruée vers le chou-fleur !
Ces travailleurs de la terre avaient besoin de circuler à travers les canaux afin de transporter les outils, le cheval, les légumes… C’est là qu’entrent en scène le bâcove et l’escute. Deux embarcations inspirées des bateaux médiévaux qui ont élu domicile dans notre marais dès le XVIIIème siècle. Le bacôve est le plus gros des bateaux. Il présentait une capacité d’emport de 3,5 tonnes. L’escute, plus petite, se décline en 6 tailles différentes. Elle était adaptée au transport des petits outils, aux déplacement familiaux ainsi qu’à la pêche. Face à la demande, le marais comptait 7 chantiers naval au XIXème siècle.
Après la seconde guerre mondiale, le monde économique et technologique n’est plus le même qu’autrefois. La concurrence est rude, la mécanisation de l’agriculture permet une plus forte productivité. Il est difficile pour nos maraîchers de suivre la cadence ! En effet, comment rivaliser avec les propriétaires d’énormes champs alors que nous devions ici passer pas moins de 2h de navigation par jour pour circuler entre les parcelles disséminées à travers le marais ? A noter que nous n’avions pas dit « non » au progrès. Nous étions équipés de motoculteurs, voire de tracteurs, mais ces derniers étaient transportés grâce à des bacôves jumelés !
C’est pourquoi le nombre de maraîchers n’a cessé de diminuer, passant de 400 familles en 1950 à 35 aujourd’hui. Entretemps, nous avons construit des ponts et des chemins à travers le marais au cours des années 70 et 80 afin de faciliter la circulation en tracteur. Une étape nécessaire pour sauver le maraîchage, mais cela entraina la fin des bacôves et des escutes ainsi que la fermeture des chantiers navals.
Le dernier charpentier prit sa retraite en 1997. 12 ans plus tard, nous nous sommes engagés dans la sauvegarde de ce patrimoine.
3 – La Petite Meer – Aux origines du marais
Observez ces petites maisons au bord de l’eau. Un petit air de paradis néanmoins sensible aux inondations. Vous découvrirez sur votre droite une maison typique maraîchère verte et blanche.
Je profite de cette rivière ancienne de plus de mille ans pour vous conter les débuts du marais.
Remontons à la fin de l’Antiquité. Le marais ne ressemblait pas à cet îlot de vie. Il n’y avait ni canaux, ni maisons… Il s’agissait d’une cuvette marécageuse inhospitalière irriguée par le fleuve Aa. A cette époque, la mer se mêlait aux eaux du fleuve pour former un golfe qui s’étalait sur toute la Flandre Maritime. Seul le peuple des Morins venait pêcher dans le marécage. Une tribu celte de Gaule-Belgique appliquant un culte polythéiste.
Puis les catholiques arrivèrent au pouvoir. Le roi Dagobert 1er missionna au VIIème siècle des moines pour convertir notre peuple païen. On éleva ainsi sur le mont Sithiu le premier monastère qui deviendra la riche abbaye de Saint-Bertin, ainsi qu’une petite chapelle dédiée à Notre-Dame, qui deviendra cathédrale au XVIème siècle. L’évêque Audomarus fut en charge de superviser les opérations. On l’appellera également audomar, Omar, ou Omer. Vous l’avez compris : le mont Sithiu constitue l’emplacement de Saint-Omer ainsi que le centre névralgique de ce que nous nommons aujourd’hui le marais audomarois.
Au cours du Moyen Age, notre ville connut un formidable essor. Le minuscule village bordé par le marais devint une place de marché au Xème siècle, puis une cité portuaire au XIIème siècle, après que l’on eut asséché le delta de l’Aa et canalisé le fleuve. Au XIVème siècle, Saint-Omer compta même jusqu’à 40000 habitants ! Eh oui ! Difficile de croire aujourd’hui que cette petite commune de 15 000 habitants figurait parmi les villes européennes les plus importantes !
Au fil des siècles, pour loger et nourrir tout le monde, il fallut assécher le marais afin de créer des espaces constructibles, des terres agricoles et des pâtures pour le bétail.
On s’employa donc à creuser des canaux afin de faciliter l’écoulement et baisser le niveau d’eau. Des terres émergèrent et on les suréleva avec la vase. Oui, parfaitement : le marais audomarois est un formidable espace naturel artificiel que l’on entretient depuis des siècles !
4 – Le polder maraîcher
Nous passons sous une porte d’eau menant à un polder maraîcher de type hollandais. Au XVIIIème siècle, nous rencontrions 2 soucis : les eaux de l’Aa inondaient assez fréquemment le marais malgré le réseau de canaux. En parallèle, nous avions davantage besoin de terres agricoles. Nous avons donc repris la technologie hollandaise pour constituer des casiers hydrauliques.
Pour schématiser, un étang boueux s’étendait ici il y a plus de 250 ans. Nous avons creusé des canaux à l’intérieur afin d’assécher et faire ressortir les terres. Ces canaux sont moins profonds que la moyenne : 1mètre 20 contre 2 mètres en règle générale. Les terres ne sont donc pas surélevées et sont aisément inondables. Pour les protéger, une digue fut construite tout autour avec une seule entrée contrôlée par une porte.
En hiver, les cultures se faisaient rares. La porte était ouverte en période de pluie. Les polders absorbaient ainsi les crues et les champs, complètement immergés, faisaient le plein d’alluvions pour se fertiliser. Au printemps, si le niveau général du marais demeurait haut, nous fermions la porte et nous vidions le surplus d’eau afin de sécher les terres pour les plantations. L’opération était réalisée avec des moulins à vent munis de vis sans fin, également appelées « vis d’Archimède ».
Aujourd’hui, c’est le contraire. Les champs sont occupés l’hiver et les polders comptent désormais ici et là des constructions. Les portes sont donc ouvertes au printemps et fermées en hiver. Les pompes modernes ont par ailleurs pris la place des moulins depuis la fin des années 1940.
Vous retrouverez dans ce polder des cultures diversifiées entourées d’un quadrillage de canaux.
5- La ville de Saint-Omer
Ce panorama offre une belle vue de la ville de Saint-Omer et de ses monuments.
Nous apercevons tout à gauche un gros château muni de trois toits. Il s’agit de la gare de Saint-Omer inaugurée en 1904. Le trafic ferroviaire n’étant plus ce qu’il était, la commune a racheté ce bâtiment pour le sauver. Il abrite toujours aujourd’hui le guichet et le halle de gare, mais aussi un espace de coworking, des salles de réunion ainsi qu’un laboratoire de conception numérique.
Derrière la gare, nous entrapercevons les restes de l’abbaye de Saint-Bertin. L’une des plus riches abbayes du Nord de l’Europe qui fut détruite à la révolution. Elle fut le dernier lieu de vie de Childéric III, le dernier roi mérovingien.
Plus à droite, un dôme s’élève dans l’horizon. Il s’agit du théâtre à l’italienne de Saint-Omer récemment restauré. Le bâtiment abritait également avant 2007 les services de l’hôtel de ville. En raison de sa forme, ce bâtiment inauguré en 1840 est surnommé localement le « Moulin à café ».
Voyez cette grande tour carrée qui surplombe la ville. Il s’agit de la cathédrale de Saint-Omer. Il aura fallu 3 siècles, entre le 12ème et le 16ème, pour achever sa construction. N’hésitez pas à la visiter. Elle abrite des trésors d’art sacré, un magnifique buffet d’orgue et une horloge astrolabe unique. Un vrai musée pour les amateurs d’art gothique et d’histoire médiévale !
Parmi les monuments visibles du marais, un clocher attire notre attention. Il s’agit de l’église Saint-Sépulcre édifiée à la fin du XIIème siècle. Un nom qui évoque les croisades et bien des légendes. Pour cause : ce bâtiment nous rappelle que Godefroy de Saint-Omer était en 1118 le cofondateur de l’Ordre du Temple avec Hugues de Payns, un champenois.
En s’éloignant, nous apercevons enfin deux tours en brique et pierre. Il s’agit de la chapelle des jésuites. Aujourd’hui désacralisée, il s’agissait de la chapelle des collèges jésuites wallons et anglais implantés au XVIIème siècle à Saint-Omer pour contrer la réforme protestante durant la guerre des religions. A noter que durant les années 1740, le collège anglais a accueilli les frères Caroll et leur cousin pour leurs études. Les trois compères figureront ensuite parmi les pères fondateurs des Etats-Unis. Pour les amateurs de littérature, les murs de l’un des collèges abritent aujourd’hui une vieille bibliothèque où l’on retrouva en 2010 l’un des First Folio de Shakespeare.
6 – La grande meer – Faune et flore
Bienvenue sur la « Grande Meer » ou grand « lac » en néerlandais. Un nom qui rappelle qu’autrefois, il y a 900 ans, un énorme lac de plusieurs centaines d’hectares s’étalait ici.
Le quai sur votre gauche est notamment dédié à la plaisance. Certains petits bateaux sont utilisés par leur propriétaire pour vadrouiller entre France et Belgique grâce au réseau de canaux.
Derrière, les maisons sont établies sur la digue du polder que nous avons précédemment visité. Ce quartier, historiquement sensible aux inondations, a énormément souffert au cours des dernières grandes crues de 2023 et 2024. Lors de ces évènements, le niveau de l’eau était plus haut que la digue. Certaines maisons ont reçu plus d’un mètre d’eau au rez-de-chaussée. Un véritable drame que nous n’avions jamais vécu auparavant.
Il faut rappeler que notre marais se situe sur le grand polder de l’Aa. Il s’agit du plus grand polder habité de France abritant 450 000 habitants ! Cette zone est soumise à la fois par les courants d’eau douce venant de l’amont mais aussi par les marées en aval empêchant la bonne évacuation. Ce gigantesque polder traversé par des milliers de canaux est entretenu par les Wateringues. Une vieille association locale constituée par les contes de Flandre au 12ème siècle.
Un étang se dresse sur notre droite. Le marais en compte une cinquantaine. Bon nombre d’entre-eux sont d’anciennes carrières de tourbe. On extrayait en effet la tourbe du marais pour chauffer les maisons avant l’arrivée du charbon.
7- Une riche faune et flore
La rivière suivante est bordée par une multitude de roseaux. Un endroit rêvé pour le nichage des oiseaux et le fraie des poissons.
Nous comptons ici près de 240 espèces d’oiseaux. Nous rencontrons bien sûr beaucoup d’oiseaux communs, comme le canard colvert, le foulque macroule avec son corps noir et son bec blanc, les poules d’eau avec le bec rouge et jaune, le grèbe huppé roi des plongeurs, le héron cendré, le cygne, le grand cormoran… Nous trouvons aussi le martin pêcheur, le blongios nain, le butor étoilé et d’autres espèce plus rares formant un bon indicateur de la qualité de l’environnement.
Le marais abrite aussi 27 espèces de poissons, comme le brochet, la perche et le sandre pour les carnassiers, ou la tanche, la brême et la carpe pour les poissons de fond. Le marais regorge également de poissons fourrage comme le gardon. De temps à autres, il est possible de croiser une anguille, mais cette espèce est en voie de disparition à cause de la surpêche des alevins dans les estuaires de fleuves. En parlant de pêche, le marais comporte environ 3000 pêcheurs. Cette activité, jadis exercée de manière sauvage avec des techniques ne laissant aucune chance aux poisson, s’avère aujourd’hui très réglementée.
Nous pouvons également rencontrer ici de nombreux batraciens, une quinzaine d’espèces de libellules et de chauve-souris, des couleuvres à collier, des moules d’eau douce… Bien entendu, les insectes se comptent par centaines. Mais contrairement à ce que l’on peut penser, l’eau n’est pas stagnante. Ainsi, le moustique ne cause pas trop de problème.
Le marais audomarois compte aussi parmi ses occupants des espèces invasives importées, comme le rat musqué et l’écrevisse américaine.
Les amateurs de botanique apprécient ici la flore très riche comprenant entre autres des joncs, des roseaux, différentes espèces de nénuphars, des petites fleurs carnivores et des iris d’eau.
En termes d’arbres, ici s’épanouissent les saules que l’on taille en forme de boule et les frênes. Les saules adorent l’eau et l’on se sert de leurs racines pour maintenir les berges.
Quelques habitants du marais ont conservé la tradition de posséder au bord de l’eau un noyer. Cet arbre fait office de parasol. Le maraîcher plaçait jadis son bateau sous ses ramures afin de le protéger des rayons du soleil. Les bateaux de bois craignent en effet la chaleur !
7 – Un milieu à protéger
Voici un bref aperçu des richesses que possède le marais audomarois. Un lieu naturel façonné par l’activité humaine au fil des siècles. Un marécage transformé en lieu plein de vie. Ici, la nature dépend de nous et nous dépendons de cette nature. Par exemple, si nous ne curons pas tous les dix ans et si nous n’entretenons pas les berges, le marais retrouve son état originel en à peine 50 ans !
C’est pourquoi le marais audomarois est reconnu en tant que réserve de biosphère par l’UNESCO . Ici, tout est permis, mais il y a des règles pour préserver les équilibres fragiles. On ne peut plus y construire d’habitations nouvelles, mais il est possible d’y chasser, pêcher, naviguer, se promener ou cultiver, mais sous certaines contraintes pour préserver ce milieu.
Pour ce faire, nous aurons encore bien des défis à relever. Les années et décennies prochaines seront forcément marquées par la lutte contre les inondations dans l’ensemble du polder de l’Aa, et plus spécifiquement dans ce marais ainsi que le long du parcours de notre fleuve de plus en plus capricieux.
C’est ainsi que s’achève la visite d’une petite partie de notre marais. Il s’agit du terrain de jeu de leur enfance pour la plupart des membres de l’équipe,
Nous espérons que cette petite escapade vous a plu !
N’hésitez pas à prolonger la visite côté atelier, de découvrir la petite expo dédiée à l’histoire de notre entreprise, ou de passer par notre estaminet pour goûter à quelques spécialités locales.
A bientôt !